L’entonnoir de la non-dualité
La folie est une vérité ne s’étant pas encore trouvée, tandis que la conformité en est une s’étant trop trouvée. Non pas qu’elle se situe quelque part entre les deux, mais plutôt qu’elle est elle-même ce qui leur permet de cohabiter.
Cette Vérité n’est qu’un balancement infini entre l’une et l’autre, une superposition d’états opposés, une simultanéité des contraires ; un aller-retour, sans aller ni retour, entre les deux plus petites vérités dont elle se revêt : l’unité et la dualité.
Et, oui, nous avons bien raison de tiquer à la lecture de tous ces termes, car c’est précisément là tout le sujet : il n’y a que Soi pour les réaliser. Ce grand geste vital ne peut être saisi intellectuellement ; c’est à chacun d’en faire l’expérience. Par ce biais, il est seulement possible d’en indiquer l’existence et, peut-être, un peu la direction.
Puisqu’il est ici question de notre propre expérience subjective, il n’y a tout naturellement qu’elle qui puisse s’auto-réaliser. Et c’est pour cette raison que l’on ne pourra jamais y parvenir par l’extérieur, que ce soit à travers un enseignement, une philosophie ou tout autre système conceptuel plus ou moins symbolique — y compris et même surtout pas celui-ci. Ce n’est là que l’un de ces innombrables jeux joués par le seul Jeu qui n’ait jamais existé, et qui n’a de valeur qu’en tant que témoin de lui-même, s’invitant lui-même à en venir témoigner.
À la fin des temps comme à leur éternel recommencement, l’enseignant parfait n’a toujours été que Soi. Bien que le dire ne fasse probablement que nous en éloigner, voilà ce qu’est la non-dualité : Soi, réalisant qu’il n’y a jamais eu que Soi.
As-tu déjà expérimenté autre chose que ta propre expérience ? Non, bien sûr. Eh bien il en va de même pour le Réel, il ne s’agit là que de son propre vécu. En d’autres mots : tu es le Réel.
Ce n’est pas toi qui cherches le Soi : c’est lui qui cherche à se rappeler qu’il est toi. Alors… si tu es déjà ce que tu cherches, pourquoi le chercher ?
Tu contiens déjà tous les modes d’Être, il n’y a donc que toi pour être capable de t’illusionner ainsi avant de te libérer de la confusion inhérente à ta propre incertitude d’Être, sans pour autant te rigidifier de trop. Il n’y a que toi qui puisses embrasser chacune de tes faces, pour que, de cette danse entre tes oppositions, réémerge le Grand Souvenir. Tu es le véritable instructeur : celui qui n’a de cesse de s’auto-corriger dès lors qu’il s’aperçoit devenir un peu trop de l’une, ou un peu trop de l’autre partie de lui-même.
Au fil des époques, une infinité de concepts et de figures ont tenté de donner des contours à ce qui n’en a jamais eu, et tous en sont arrivés au même point : Soi, le Réel, l’Être, l’Univers, la Vérité, la Vie elle-même en tant que sa propre expérience subjective.
Et toi, tu es Cela. Tu es ce qui contient toutes ces choses. Tous ces grands concepts, toutes ces grandes figures ne sont qu’autant de visages pour te rappeler qu’il n’a toujours été question que du tien ; qu’il n’a toujours été question que de ce « Je ».
Soi, ce n’est pas l’idée que tu te fais de moi — de toi, d’eux ou de nous. C’est simplement ce que tu es, là, tout de suite ; ce que tu expérimentes à chaque instant — par ailleurs, le seul qui soit. C’est ce qui est déjà toi avant même que tu puisses en avoir l’idée. Autrement dit, c’est ce moment où « eux », eh bien, c’est aussi « toi », puisqu’il n’y a plus que Cela — Je. Et c’est ainsi que les mots se meurent… pour renaître un peu plus loin.
Voilà ce qu’est l’entonnoir de la non-dualité. Pourquoi « entonnoir » ? Eh bien parce que la multiplicité n’est qu’une modalité de l’Un. Si tu te laisses y tomber, tu sauras qu’il n’existe qu’une seule réalité : la tienne. Et ne déformons rien : ce n’est pas « moi » qui suis la seule chose qui existe, mais toi — Je —, qui en fais l’expérience.
L’immobilité permet de descendre au fond, tout comme le mouvement ; la folie tout comme la conformité, le moi tout comme l’autre, le bien tout comme le mal, le beau tout comme le laid, la joie tout comme la souffrance. C’est simplement que si tu négliges l’un des deux, tu seras condamné à te chercher.
Bien sûr, il ne faut surtout pas me croire, car tout cela ne serait pas très amusant s’il suffisait de le dire pour en avoir la certitude ; ceci ne peut que sonner faux. En vérité, je ne suis qu’un menteur qui t’invite à aller au bout de ton propre mensonge. Les mots n’ont toujours été que des enveloppes pour une Vérité qui n’y reste jamais bien longtemps, et il n’y a qu’en Soi qu’elle peut trouver un refuge suffisamment confortable pour désirer y rester davantage.
Alors, si tu m’as lu jusqu’ici, il ne reste plus que deux possibilités…
La première : tu as presque tout compris, et tu t’es senti un peu pris dans le piège des contradictions. Dans ce cas, tout ce que je viens de dire ne peut que te paraître bien trop sérieux.
La seconde : tu as compris sans comprendre, et tu as simplement ri.