Le libre déterminisme
« Cette liberté humaine que tous se vantent de posséder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. »
— Spinoza
Nous aimons nous penser libres, car si nous ne le sommes pas, à quoi bon ? Mais, en vérité, nous découlons, nous et nos affections, d’une infinité de causes naturelles qui nous déterminent.
Tout ce qui existe est une expression nécessaire de la Réalité, de Dieu — c’est-à-dire la Nature. Rien n’est arbitraire : chaque chose agit selon sa propre nécessité d’Être. De là, nous pouvons saisir qu’il ne peut y avoir de liberté contre la nécessité, mais seulement en son sein.
Si nous poussons jusqu’au bout l’acception courante de la liberté, celle-ci ne peut en effet qu’apparaître comme une volonté de s’échapper du Réel, comme une tentative de lui imposer nos propres lois. Mais, bien sûr, il n’en est rien. Cela ne fait même que nous éloigner de ce qu’est la véritable liberté, qui ne peut être cette rébellion contre notre propre nature et ne consiste donc pas à jouir de soi en dehors du spectre des déterminations — puisque rien ne se trouve en dehors. Non, la véritable liberté s’acquiert plutôt par la compréhension des causes qui nous déterminent, par la transparence à ce que l’on Est. Plus nous les comprenons, plus nous agissons en accord avec elles et moins nous subissons celles qui ne nous appartiennent pas. En d’autres termes, nous sommes libres de saisir le Réel, mais en aucun cas de nous en échapper.
Voilà ce qu’est la liberté : une lucidité de la nécessité d’Être.
Être libre, c’est agir selon ses propres déterminations, en accord avec la nécessité de la Nature — dans laquelle et par laquelle elles sont contenues et définies — plutôt que d’être agi par cette dernière selon des causes qui ne peuvent que nous apparaître extérieures et que nous ne comprenons pas.
L’homme libre n’est pas celui qui « fait ce qu’il veut », c’est celui qui « comprend ce qu’il veut » et qui « veut » selon la nature même du Réel.
Ainsi, la liberté ne se dresse pas contre la Nature : ce n’est qu’une participation consciente à ce grand ordre qu’elle définit.
Lorsque nous comprenons et vivons en accord avec cette nécessité universelle, nous nous libérons des passions tristes pour demeurer dans une joie active, de laquelle découle l’augmentation de notre puissance d’agir. C’est là une vie vécue en pleine conscience de soi et de la Totalité : une béatitude qui culmine dans ce que Spinoza appelle la connaissance du troisième genre — la science intuitive — grâce à laquelle on perçoit directement que tout est en Dieu, ou que tout est en Soi.
Dès lors, je ne fais plus ce que je veux, mais je veux ce que je fais, parce que je comprends que c’est exactement ce que la Nature exprime selon sa nécessité — je la laisse se balader librement à travers moi.