Immobilité et mouvement

Immobilité et mouvement

L’« éveil », c’est ce moment où, telle une pliure de l’espace-temps, les deux bords de l’Être se rejoignent, laissant se déployer entre eux une immobilité sans fond, depuis laquelle Il peut alors se délecter de son propre mouvement.
Il s’agit là de tenir en équilibre sur un fil tendu entre Soi et soi — l’un se sait, l’autre a oublié qu’il se sait.
Celui qui se sait est celui qui est resté tranquillement assis ici depuis tout ce temps — serein et imperturbable — tandis que celui qui a oublié qu’il se sait est simplement parti faire une promenade.
Et c’est seulement lorsque cette immobilité règne et est absolue que peut advenir cette béatitude dans laquelle elle culmine.
Autour d’elle, tout bouge, et cela aussi est l’Être ; mais, sans cette immobilité, sans cette conscience, sans ce sentiment d’Être pour en témoigner, il est impossible d’apprécier ce mouvement — il n’apparaît plus que comme une douleur, car l’agitation pour l’agitation ne peut conduire qu’à la nausée.
En bref, l’immobilité intérieure mène à la réalisation de la nature des choses, et le mouvement n’est qu’un moyen pour la trouver.
Lorsque l’on est purement et littéralement vide — car trop plein de soi-même —, cela se produit.
On comprend alors qu’il y a un corps pour bouger et un esprit pour demeurer — que l’un ne peut, de toute évidence, pas aller sans l’autre.
On comprend qu’il y a deux yeux pour voir les objets extérieurs, et un autre, intérieur, pour voir le sujet qui les observe ; et que ces deux dimensions n’en sont en fait qu’une seule — elles constituent simplement différents modes d’utilisation de soi-même, différents états de la même réalité. L’un la condense en un point, l’autre la laisse se déployer pour créer le monde.
Naturellement, on comprend aussi que regarder l’autre, regarder en l’autre, c’est-à-dire le regarder vraiment, en tant que sujet, c’est se regarder soi-même — et inversement.
Voilà ce qu’est cette béatitude. Voilà ce qu’est l’amour : se regarder soi-même.
On peut le chercher et, disons-le, se faire ainsi franchement chier ; ou alors… on peut le laisser s’épanouir en lui-même, dans sa plus souveraine immobilité, comme entre les innombrables calques de mouvement dont il se revêt.
Par ailleurs, c’est là tout le sens des relations humaines : apprendre à se regarder vraiment, pour faire sa propre rencontre à travers l’autre ; apprendre à ne pas le juger et à l’accepter dans toute l’étendue de ses subtilités — car c’est la nôtre que nous observons en lui.
Tant qu’il demeure pour nous un danger, une friction, une tension ou un problème à résoudre, c’est le signe que nous ne parvenons pas encore à nous aimer.
Car, bien souvent, ce poids du regard de l’autre que l’on sent peser sur nous ne fait que refléter notre propre manque d’amour, notre propre incapacité à nous considérer comme déjà accomplis, absolument parfaits et épanouis — tels que nous sommes, malgré toutes nos hypothétiques imperfections phénoménales.
Encore une fois : le mouvant, c’est ce que tu possèdes, ce que tu fais, ce que tu crois, ce qui se passe ; l’immobile, c’est ce que tu es.
Va jusqu’au bout de ce sentiment d’Être et tu retomberas dans cette grande danse à laquelle il s’adonne.