Être
« Quand je vois que je ne suis rien, c’est la sagesse. Quand je vois que je suis tout, c’est l’amour. Et entre les deux, ma vie s’écoule… »
— Nisargadatta Maharaj
Par-delà toutes les dualités relatives que l’on peut formuler, il en existe une, absolue, qui les embrasse toutes : le vide et le plein, le rien et le tout, ou encore le couple de l’unité et de la dualité lui-même.
Cette magnifique phrase — typiquement non-dualiste, mais qui, du fait de la nature même du langage, nous apparaît sans doute comme telle — joue de cette ultime tension ontologique.
« Quand je vois que je ne suis rien, c’est la sagesse. »
Ici, Nisargadatta évoque l’expérience de la vacuité : lorsque nos attachements tombent, lorsqu’on comprend que notre identité propre — voire nos identités, les innombrables masques que l’on revêt — n’est qu’une construction, on découvre que, fondamentalement, « Je » n’ai pas d’identité propre. « Je » ne suis personne. Cet état de détachement, de désengagement identitaire, pourrait-on dire, correspond à la sagesse parce qu’il met fin à l’idée d’un soi limité. C’est une unité vécue, au-dedans.
« Quand je vois que je suis tout, c’est l’amour. »
De l’autre côté, lorsqu’on dépasse ce sentiment de limitation et parce que nous ne nous sentons donc plus limités à une forme particulière, on peut également expérimenter la plénitude d’être toute chose. On se reconnaît dans l’arbre, dans l’autre, dans le monde, dans l’Univers entier. Cette reconnaissance n’est bien sûr pas de nature intellectuelle — ou plutôt, pas seulement. Elle est vécue comme une expérience immédiate, directe, éternelle. Et c’est ce que Nisargadatta appelle l’amour : l’absence de séparation entre soi et le reste, l’unité vécue, au-dehors.
« Et entre les deux, ma vie s’écoule… »
Et c’est ainsi que la vie se joue entre ces deux pôles. Le détachement, le rien, le vide, la transcendance, le « n’être personne » d’une part. Et la totalité, l’amour, l’immanence, l’« être toute chose » d’autre part.
Nisargadatta ne présente pas ce mouvement comme un choix ou un compromis, mais comme une danse entre les deux, comme une simultanéité vécue — la vie est déjà sagesse et amour en un même geste.
La sagesse permet de revenir à la cause première et libère de l’ignorance ; l’amour nous unit à tout ce qui existe. Et c’est ainsi que la vie s’épanouit en tant que l’un et l’autre à la fois — dans un simple élan de l’Être qui s’efface et se reconnaît à chaque instant.
En fin de compte, il ne reste plus que Cela — un silence, bruyant pour mieux s’éprendre de lui-même.